Intervention à l’École du Rouret (06)

La petite ville du Rouret, près de Grasse, dans les Alpes-Maritimes, qui compte 4100 habitants, organise chaque année une fête du livre. A cette occasion quelques auteurs sont invités à aller à la rencontre des élèves de l’école primaire.

C’est ainsi que j’ai répondu à l’invitation de 2 institutrices le 5 mai, pour présenter mon livre Paysannes sur la Côte d’Azur à une classe de CM1 puis de CM2.

Avec l’accord des enseignantes, j’en ai profité surtout pour présenter l’AEAP en racontant aux enfants la longue histoire des écrivains et artistes paysans autour de quelques axes :

  1. De tout temps l’homme en contact avec la nature l’a sublimée par l’art : gravures rupestres, sculptures, contes, chants, etc.
  2. Jusqu’à la fin du XIXème s. le paysan était pourtant souvent considéré avec mépris, comme un être rustre, inculte, ignorant: « L’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu’ils fouillent et qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes ; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d’eau et de racine : ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu’ils ont semé. » Jean de la Bruyère, Les Caractères (1688), De l’homme
  3. En 1881 et 82, les lois de Jules Ferry rendent l’école gratuite et obligatoire. Les enfants de paysans sont obligés d’apprendre à lire et à écrire, en plus de leur travail aux champs.
  4. 20 ans plus tard, un fils de paysans, Emile Guillaumin, écrit la biographie de son voisin, vieux paysan ayant toujours travaillé la terre. Le livre, intitulé La Vie d’un simple remporte un franc succès et il est nominé au Prix Goncourt.
  5. 40 ans plus tard, pendant la 2ème guerre mondiale, un fils de paysan, Jean Robinet, fait prisonnier et envoyé dans un camp de travail en Allemagne, nostalgique de son village, se met à écrire sur des cartons d’emballage. Le soir il lit ses textes à ses codétenus qui boivent ses paroles avec émotion. Au retour il présentera Roman des chevaux de labour au concours d’écriture Sully-Olivier de Serre et obtiendra le premier prix.
  6. Jean Robinet, Emile Guillaumin et quelques autres écrivains paysans se rencontrent et décident de s’unir pour faire connaître leurs œuvres, boudées par le monde de l’édition habitué à promouvoir des intellectuels mais pas des manuels. Une première association se crée mais ne dure pas. Elle sera relancée en 1972 sous sa forme actuelle.
  7. Parmi les diverses manifestations de l’AEAP j’insiste sur le concours d’écriture que nous avons initié au lycée agricole de St-Maximin la Sainte Baume, en lisant 3 ou 4 poèmes d’élèves.

L’intérêt de cet historique m’avait paru évident. Il s’agissait de montrer l’importance de l’école mais aussi de donner aux enfants confiance en eux-mêmes en leur montrant :

  • Qu’il n’est pas nécessaire d’être un.e brillant.e élève pour savoir s’exprimer
  • Que chacun.e a des choses à dire
  • Que chaque vie, aussi simple soit elle, est un roman susceptible de provoquer l’intérêt dès qu’on partage ses émotions
  • Qu’écrire n’est pas une corvée, ni une obligation, mais un plaisir

Puis j’ai dit quelques mots sur mon livre et sur le plaisir que j’avais pris à l’écrire.

Et j’ai répondu à leurs questions.

J’avoue que je ne m’attendais pas à un tel succès. Tous les bras se levaient en même temps. Plusieurs m’ont dit que cette histoire était passionnante et qu’ils allaient essayer d’écrire, eux aussi. Et leurs remerciements chaleureux furent très émouvants.

Faire sortir le paysan des clichés, donner une image positive de la ruralité, transmettre l’envie d’écrire, n’est-ce pas la vocation de notre association ?

Jacqueline Bellino

Les micocouliers de l’école du Rouret

2 réflexions sur “Intervention à l’École du Rouret (06)

  1. C’est tout simplement formidable ce que tu racontes Jacqueline ! Un truc qu’on aimerait voir réalisé dans toutes les écoles de France, de Navarre et du bout du monde. Une vraie raison d’espérer pour tous. Et quel résumé tu nous en fais ! Il y a tout d’un (bon) plan à suivre dans ta démarche et sa progression. On pourrait enrichir cela avec des photos, petites vidéos (INA) des citations et extraits choisis des auteurs que tu cites et donne en exemple à suivre. Mais oui à quoi sert l’école sinon à donner des ailes pour s’envoler et pas seulement des armes pour survivre. Il faudrait que la presse rende compte de ce genre d’initiative pour donner envie à d’autres écoles. Les sorties scolaires coûtent de plus en plus cher pour les écoles rurales avec le problème du transport. C’est en faisant venir le monde à elles qu’elles peuvent contourner cet handicap et en faire une force, un atout pour les écoliers de nos campagnes, les futurs Guillaumin et Guillaumette. On a beaucoup à faire. Encore bravo.

    • Merci pour ce commentaire enthousiaste et si bien formulé (j’y reconnais ta plume). Tu as tout à fait raison.
      Ces échanges ont décuplé mon énergie. Et si un seul de ces enfants prenaient goût à l’écriture grâce à mon intervention je n’aurais pas bossé pour rien, en tant que présidente, pendant 9 ans.
      Expérience à renouveler. Plus: à généraliser.

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